L’Eucharistie : pour en savoir plus

La recommandation de Jésus: « Faites ceci en mémoire de moi » porte-t-elle sur l’acte symbolique du partage du pain et de la coupe, ou beaucoup plus fondamentalement sur la consécration de sa vie en référence aux autres, dans l’entraide, la justice et l’amour? S’agit-il de multiplier les célébrations liturgiques ou les gestes d’humanité, dans la vie quotidienne?

Alors que les trois synoptiques, Matthieu, Marc et Luc relatent le moment solennel du partage du pain et du vin à la dernière cène, Jean n’en fait pas mention, mais il décrit le lavement des pieds. Ce service de l’amour du prochain ne serait-il pas plus eucharistique encore que l’acte liturgique? Celui-ci ne prend d’ailleurs tout son sens que comme célébration de ce qui se vit dans le quotidien. La manière d’être de Jésus, telle qu’elle nous est décrite dans les Évangiles, incite à penser que son message porte avant tout sur la manière d’être dans la vie de tous les jours : « C’est à votre amour les uns pour les autres que l’on vous reconnaîtra comme mes disciples »

On perçoit de plus en plus que l’essentiel de l’être chrétien ne se situe pas dans des pratiques religieuses, mais dans la manière d’être au monde. Ceci ne diminue en rien l’importance des rencontres sacramentelles qui célèbrent dans l’action de grâce la présence de Dieu dans le quotidien, mettant davantage encore en lumière la densité de ce qui se vit au jour le jour. Les célébrations naissent en quelque sorte de la vie profane et y renvoient avec d’autant plus de ferveur et d’engagement. A l’instar des événements et des fêtes de famille qui n’ont de sens qu’en tant qu’expression plus explicite de ce qui anime la vie courante. Ainsi, les ministres de la vie chrétienne au quotidien, c’est chacun de nous dans sa manière d’être en famille, au travail, en société. C’est là que s ‘incarnent, dans le contexte d’aujourd’hui, les grands appels évangéliques.

Ce qui construit la communauté, ce qui tend à réaliser peu à peu, mais combien difficilement, un univers humain, ce sont nos attitudes et engagements de la vie quotidienne. Ce sont eux avant tout qui sont porteurs de la présence divine, inspirés par le souffle de son Esprit. Il en a été ainsi de la démarche et de l’enseignement de Jésus. Son message ultime, au cours de la dernière cène, concerne notre vie quotidienne. Et si des signes vivifiants nous sont indispensables, c’est pour soutenir et éclairer le lieu majeur du vécu chrétien qu’est le monde à construire dans la justice, la solidarité, la fraternité. Le service ou ministère de la célébration liturgique renvoie au ministère fondamental du quotidien, que chacun réalise dans le concret de ses engagements de vie.

Alors, les pratiques religieuses, les liturgies, les rites sacramentels peuvent s’insérer en cohérence avec le concret de l’existence, dont ils célèbrent la densité. Ainsi convergent pratiques religieuses, liturgies, rites sacramentels et vie quotidienne, s’éclairant et se vivifiant mutuellement. Les chrétiennes et chrétiens ont de plus en plus conscience de cette interférence étroite entre le profane et le sacré, entre le vécu de chaque instant et le message évangélique.

« Oser être chrétien » p  72-73

« Unanimes, ils rompaient le pain à domicile»

La vie de tous les jours amenant à découvrir la richesse et la fécondité de la collaboration entre hommes et femmes dans tous les secteurs de la vie, ces chrétiens ne peuvent plus concevoir qu’au nom de l’Évangile des séparations structurelles puissent encore s’imposer, que ce soit dans la gestion des sacrements ou la responsabilité des communautés et de l’Église dans son ensemble. Aussi, dans les communautés dont ils sont agents actifs, le partenariat étant total, les femmes sont impliquées à part entière dans l’organisation, l’animation des réunions, les célébrations communes.

Certes, des relents de « machisme» subsistent encore dans certains réflexes. Ce n’est que sur le terrain, dans le concret des rencontres, qu’on peut bien s’en rendre compte et qu’on arrive progressivement à les dépasser. C’est là aussi qu’on peut le mieux percevoir ce qu’apporte d’élargissement et d’enrichissement aux uns et aux autres, ainsi qu’à la communauté entière, le dépassement de toutes les ségrégations.

La distinction très tranchée entre prêtres et laïcs révèle d’autres blocages, tant la sphère du sacré a suscité de tabous et d’interdits. Ici le dépassement est souvent marqué de multiples obstacles dùs aux protestations d’incompétence, qu’on a abondamment entretenue chez les laïcs, aux résistances de prêtres farouchement agrippés à leur identité, et aux interdits soi -disant inhérents à l’approche du Transcendant.

Peu à peu, cependant, la vérité des actes sacramentels et la vitalité de la communauté, à travers d’intenses débats et une patiente maturation, amènent bien des communautés de base à dépasser toute distinction entre prêtres et laïcs dans les échanges, la prière et même la célébration eucharistique. La recommandation de Jésus: « Faites ceci en mémoire de moi» nous retrouve tous à l’unisson, sur pied d’égalité, unis en tant que fidèles dans une même adhésion, au-delà des distinctions et séparations qui se sont progressivement durcies et figées au cours de siècles. Ne lit-on pas dans les Actes des Apôtres, à propos des premières communautés chrétiennes: « Unanimes… ils rompaient le pain à domicile… Et le Seigneur adjoignait chaque jour à la communauté ceux qui trouvaient le salut» (A.A. 2, 4647).

Dans ces communautés est dépassée depuis longtemps toute mise à l’écart, même partielle, des divorcés remariés ou toute ségrégation en fonction de la conduite personnelle, dont on n’a pas à juger. On se retrouve ensemble, en toute égalité, en tant que fidèles, attentifs à la vie et au message de Jésus de Nazareth.

Bien au delà de toutes distinctions de service et de ministère, c’est notre foi au Christ Jésus qui nous réunit tous sur pied d’égalité. La distinction clerc-laïc est seconde, le service rendu à quelque niveau que ce soit ne fait pas sortir de la condition commune. Ce qui est essentiel et vital, et que la diversité des charismes et services ne vient pas modifier, c’est notre adhésion à la Bonne Nouvelle de Jésus. Aussi est-ce le terme «fidèles» retrouvé dans son sens premier, c’est à dire animés d’une même foi, d’une même adhésion, qui me parait exprimer le plus adéquatement notre appartenance commune.

« et si j’étais nommé évêque » pp. 21-23

Eucharistie en famille

« Il est urgent de redécouvrir et de valoriser les liturgies domestiques.  C’est dans les maisons particulières que se réunissaient les premières communautés chrétiennes, sans autre impulsion ou mandat que d’avoir commencé à prendre conscience de l’étonnante Bonne Nouvelle apportée par Jésus de Nazareth, impressionnés par ce message bouleversant, qui se situait dans le longue histoire de peuple en marche, tout en leur apportant une nouvelle dimension d’ouverture sur le monde entier, pour en creuser le sens.  C’est tout naturellement qu’ils partageaient le pain et la coupe de vin, suivant la recommandation de Jésus : « Faites cela en mémoire de moi ».  Geste symbolique qui n’avait de sens pour eux, comme pour nous, qu’en relation avec les engagements concrets d’entraide et de solidarité avec tous, et en particulier avec les plus démunis.

Y a-t-il meilleure découverte du message évangélique pour les enfants, dès le jeune âge, que ces liturgies familiales présidées par les parents, telles qu’elles se célèbrent dans les familles juives ?  Que ce soit à l’occasion du Seder pascal, lors des grandes fêtes et même chaque sabbat.  L’enseignement religieux à l’école ou en paroisse ne peut remplacer cette découverte première au sein de la vie familiale

Trop de parents, ne se croyant pas capables de cette initiation devenue principalement doctrinale, se sont déchargés de la tâche si naturelle de  transmettre ainsi dans le déroulement du quotidien ce qui leur tient à coeur.  Quelle anomalie d’envoyer les enfants à des leçons de religion et de les faire participer à des pratiques religieuses que l’on ne vit pas en famille !  La religion est devenue objet d’enseignement avant d’être expérience de vie.  En créant des suppléances, les parents ont été dépossédés d’une tâche et d’un privilège qui leur est propre, en même temps que s’insinuait en eux l’idée qu’ils n’étaient pas aptes à parler de leur foi et que la religion était affaire de spécialistes. »

Pierre de Locht

Qui mange ma chair … (Jean 6,51-58)

Vivre de la foi en Jésus-Christ est un chemin d’espérance ; c’est aussi constamment marcher sur une ligne de crête, où nous risquons de glisser assez vite d’un côté comme de l’autre. Soit vers un ritualisme et des bigoteries insensées, soit vers un spiritualisme et des dévotions peu nourrissantes. Heureusement qu’il y a l’évangile et particulièrement celui de saint Jean et son discours sur le pain de Vie. Car, en effet, si nous comprenons mal. ou si nous oublions cette parole de Jésus, «Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie», le christianisme bascule dans une religion de dévotions ou dans une simple morale religieuse et culpabilisante.

Je m’explique: le mot chair, dans la bouche de Jésus, ne veut pas du tout dire corps matériel, car pour un Juif, l’homme est pensé selon trois dimensions : le corps, qui fait de lui un ‘être matériel’, l’Esprit, qui fait de lui un ‘être spirituel’ – c’est-à-dire habité de l’Esprit de Dieu, et enfin la chair, qui exprime que l’homme est d’abord et avant tout un ‘être relation’. Alors, quand Jésus nous dit que nous devons manger sa chair et boire son sang, Jésus nous invite à vivre toutes nos relations humaines comme lui-même les a vécues avec Dieu son Père et avec tous nos frères et sœurs humains

Sans cette compréhension essentielle de cette parole du Christ, la communauté chrétienne se mue très vite en assemblée ritualiste et sacramentaliste qui conduit à la superstition ou vers une foi institutionaliste où la hiérarchie et le pouvoir deviennent omni-présents et omni-puissants. Et, croyez-moi, le danger est bien réel et bien fréquent.

Osons le dire bien haut, la présence réelle du Christ, le Christ vivant aujourd’hui, n’est pas dans les institutions de l’Église, ni dans les rites-sacrements avant tout, mais d’abord et de manière authentique dans la manière dont nous vivons et gérons nos relations humaines. La vie du Christ en nous trouve sa genèse, se développe en nous et s’épanouit en nous dans la façon dont nous entrons en relation avec tout être humain quel qu’il soit. « On reconnaîtra que vous êtes mes disciples, dit Jésus, non pas parce que vous avez adhéré à mes idées, à mes pensées, à mon message, ni parce que vous pratiquez des rites, des sacrements, ni même parce que vous irez à la messe, mais à l’amour que vous aurez les uns pour les autres ».

C’est clair, nous voilà bien avertis et informés. Le cœur du christianisme ne se trouve pas dans les institutions et les structures de l’Église, ni dans la fréquentation obsessionnelle des sacrements, mais dans nos engagements, nos attitudes, et nos capacités, d’aimer, de nous donner et de pardonner. Ne pas vouloir comprendre cela prioritairement dans la foi, c’est laisser libre cours à toutes les déviations spirituelles et les perversions rituelles. Aussi, entrons dans le concret de nos vies. Les fautes contre la chair, ne sont pas les fragilités et pauvretés sexuelles et ce ne sont pas elles qui mettent le plus en danger la vie du Christ en nous; mais un regard méprisant à l’égard de quelqu’un, un jugement téméraire vis-à-vis de son frère, un désir d’écraser les autres ou de les éclabousser par nos avoirs, nos savoirs ou notre pouvoir, ça, ce sont vraiment les fautes contre la chair, la chair du Christ.

Gérard Bruyr